Ch. 18 - De la forme des pièces dans la musique vocale


Chapitre XVIII
 

De la forme des pièces dans la musique vocale et dans l'instrumentale.
1) dans la musique vocale 





    
Quatre grandes divisions s'établissent d'abord dans la musique vocale ; ce sont :
  1. la musique d'église ;
  2. la musique dramatique ;
  3. la musique de chambre ;
  4. les airs populaires.
Dans la musique d'église, on trouve
  • les messes entières,
  • les vêpres,
  • les motets,
  • Magnificat,
  • Te Deum
  • et litanies.
Les messes sont de deux espèces, ou brèves ou solennelles.
  • On appelle messe brève celle où les paroles ne sont presque point répétées. Dans celles-là, le Kyrie, le Gloria, le Credo, le Sanctus et l ' Agnus Dei, qui sont les divisions principales, ne forment qu'un morceau de peu de durée.
  • Il n'en est pas de même des messes solennelles ; celles-ci ont quelquefois un développement si considérable, que leur exécution dure deux ou trois heures. Dans ces messes, le Kyrie, le Gloria, le Credo, se divisent en plusieurs morceaux qui sont indiqués par la nature des paroles. Par exemple, après l'introduction du Credo, qui est ordinairement pompeuse, viennent l' Incarnatus est, qui doit former un morceau religieux, Crucifixus, dont le caractère est sombre ou mélancolique, et le Resurrexit,qui annonce la joie. Les messes solennelles de Pergolèse, de Léo, de Durante et de Jomelli (1) n'avaient pas autant de développement qu'on leur en donne aujourd'hui. La raison de cette différence consiste dans la manière de concevoir la musique d'église. Les anciens maîtres croyaient que ce genre de musique devait être pompeux ou religieux ; mais ils ne pensaient point à le rendre dramatique. Nos compositeurs modernes, Mozart et Cherubini, par exemple, ont conçu la musique d'église d'une manière toute dramatique, ce qui exige bien plus de développement, puisqu'il faut peindre une foule d'oppositions indiquées par les paroles sacrées.
Lorsque les églises étaient fréquentées par la haute société pendant presque toute la durée des fêtes et dimanches, comme cela se pratiquait il y a environ cinquante ans, on écrivait beaucoup de vêpres en musique ; mais depuis que les églises sont peu fréquentées, les compositeurs ne se livrent plus à ce genre de travail, qui était très long.

Les Magnificat, qui faisaient partie de ces vêpres, sont abandonnés ainsi que les litanies.

Les Te Deum, qui servent aux réjouissances publiques, et les motets, sont les seules pièces détachées de musique d'église auxquelles les compositeurs travaillent encore. Leur développement plus ou moins grand dépend de la fantaisie du musicien.

Dans les usages des églises catholiques on ne connaît que deux manières de chanter les prières, savoir :
  • le plain-chant
  • et la musique solennelle.
Le plain-chant, tel qu'on l'entend dans les églises de France, est horriblement défiguré par une mauvaise exécution ; l'usage de la musique solennelle y devient chaque jour plus rare, en sorte qu'une oreille un peu délicate est sans cesse exposée à être déchirée par les braillements des chantres, qui ne comprennent ni les paroles qu'ils prononcent, ni le chant qu'ils exécutent.
A défaut d'une bonne exécution du plain-chant, il est fâcheux qu'on ne puisse, à l'imitation des églises protestantes d'Allemagne, introduire dans les nôtres un genre de musique simple et facile, sans autre accompagnement que les jeux doux de l'orgue. Il y aurait dans une musique usuelle semblable, et plus de recueillement religieux, et plus de satisfaction pour l'oreille. Ce genre de musique aurait d'ailleurs l'avantage de former le peuple à un meilleur goût, et de lui faire perdre l'habitude de ces cris inhumains qui rendent les chants populaires odieux à une oreille délicate.

L''oratorio, en Italie, en Allemagne et en Angleterre, fait partie de la musique religieuse ; mais en France, ce n'est que de la musique de concert, car jamais on n'y exécute d'oratorio dans les églises. Lorsque les compositeurs français se livraient à ce genre de travail, ils faisaient toujours entendre leurs productions au concert spirituel.
Haendel, célèbre musicien allemand qui a passé la plus grande partie de sa vie en Angleterre, a composé de magnifiques ouvrages en ce genre sur des paroles anglaises ; le Messie, Judas Machabée, Athalie, Samson et la cantate des Fêtes d'Alexandre sont cités surtout comme des modèles du style le plus élevé. Quelles que soient les transformations de la musique à l'avenir, Haendel sera toujours cité comme un des plus beaux génies qui ont illustré cet art.

Le genre de musique qui est le plus généralement connu est celui du théâtre. Tout le monde juge la musique dramatique, tout le monde en parle, et ses termes techniques ne sont plus même inconnus aux personnes les moins versées dans l'art. Mais tout le monde ne connaît pas l'origine et les variations de formes des divers morceaux qui entrent dans la composition d'un opéra ; je crois donc nécessaire d'entrer à ce sujet dans quelques détails.

La musique était réduite aux formes symétriques du contrepoint, qui ne trouvaient leur application que dans la musique d'église et de chambre, lorsqu'une réunion de littérateurs et de musiciens italiens, parmi lesquels on distinguait Vincent Galilée, Mei et Caccini, imagina de se servir de l'union de la poésie à la musique pour faire revivre le système dramatique des Grecs où la poésie était chantée. Galilée fit entendre, comme premier essai de ce genre de pièces, l'épisode du Comte Ugolin, qu'il avait mis en musique. L'accueil qui fut fait à ce premier essai détermina le poète Rinuccini à composer un opéra de Dafne (vers 1590), qui fut mis en musique par Péri et Caccini. Cet ouvrage fut suivi d'Euridice, et tous deux obtinrent un grand succès. Telle est l'origine de l'opéra.

La partie la plus importante de ces ouvrages consistait en récits, qui quelquefois étaient mesurés, et quelquefois libres de toute mesure. Ces récits prirent le nom de récitatif.
La marche de ces récitatifs anciens était moins vive, moins syllabique que celle du récitatif de nos opéras ; c'était plutôt une espèce de chant languissant, dépouillé de mesure en plusieurs endroits, qu'un récitatif véritable ; mais c'était cependant à cette époque une innovation remarquable, puisque rien de ce qui en avait précédé l'invention n'en pouvait donner l'idée.
Dans l'opéra d'Euridice, qui fut le second qu'on écrivit, un des personnages chante des stances anacréontiques qu'on peut considérer comme l'origine de ce qu'on nomme un air. Une petite ritournelle précède ce morceau. Les mouvements de la basse suivent note pour note ceux de la voix, ce qui donne de la lourdeur au caractère du morceau, mais ce qui établit une différence notable entre ce genre de morceau et le récitatif, où la basse fait souvent des tenues. Au reste, le modèle des airs d'opéras existait auparavant dans les chants populaires qui étaient connus depuis longtemps. Les airs prirent une forme un peu plus arrêtée dans un drame musical d'Etienne Landi, intitulé Il Santo Alessio, qui fut composé et représenté à Rome en 1634. Celui qui se trouve au premier acte de cet ouvrage, sur les paroles : se l'hore volano, est remarquable non seulement par le rythme de la première phrase du chant, mais aussi par un trait de vocalisation assez étendu sur il volo ; mais, comme tous les airs du XVIIe siècle, il a le défaut de contenir des changements de mesure et de passer alternativement de trois à quatre temps. Une monotonie de forme se trouve dans tous les airs de cette époque : ils sont tous coupés en couplets comme nos vaudevilles ou nos romances. Cette habitude se retrouve encore dans tous les opéras de Cavalli, qui en composa près de quarante, et particulièrement dans son Jason, qui fut représenté à Venise en 1649. Par une singulière disposition, tous les airs de ce temps étaient placés au commencement des scènes et non vers la fin, comme dans les opéras modernes.

Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, la coupe des airs fut changée, et les plus habiles compositeurs en adoptèrent une qui était ce qu'on pouvait imaginer de plus défavorable à l'effet dramatique et à la raison.
  • Ces airs commençaient par un mouvement lent qui se terminait dans le ton du morceau ;
  • puis venait un mouvement vif, conçu dans un système d'expression scénique,
  • après quoi l'on revenait au mouvement lent, qui était répété en entier.
Le moindre défaut de ce retour était de détruire l'effet musical qui venait d'être produit par l'allegro ; car il arrivait souvent qu'il était un contresens. 

Par exemple, dans l'air de l'Olympiade, où Mégaclès, déterminé à s'éloigner d'Aristée qu'il aime, pour la céder à Licidas, son ami, adresse à celui-ci ces vers touchants:
Se cerca, se dice:
L'amico dov'è ?
L'amico infelice,
Rispondi, mori.
C'est-à-dire : « Si elle cherche, si elle dit : Où est. ton ami? réponds: Mon malheureux ami est mort. Ah! non ; ne lui cause point une si grande peine pour moi ; réponds seulement en pleurant : Il est parti. Quel abîme de maux! quitter ce qu'on aime, le quitter pour toujours, et le quitter ainsi! »
Tous les compositeurs qui ont écrit de la musique sur ces paroles n'ont pas manqué, après le mouvement vif et dramatique qu'ils plaçaient sur ces mots, quel abîme de maux! de revenir froidement au commencement, et de reprendre le mouvement lent des mots, si elle cherche, etc., comme s'il était possible que Mégaclès se calmât subitement après une explosion passionnée. Jomelli fut le premier qui sentit la nécessité de finir par les quatre derniers vers.
L'usage de la coupe d'airs dont je viens de parler s'est perpétué jusqu'à Piccini et Sacchini.

On en écrivit aussi beaucoup dans le cours du XVIIIe siècle, qui n'étaient composés que d'un seul mouvement très lent et très développé: de pareils morceaux, malgré tout leur mérite, ne pourraient plus réussir aujourd'hui, où l'on s'est habitué aux rythmes plus ou moins rapides et prononcés. De simples cavatines, d'une courte durée, peuvent seules être écrites dans cette manière.

Parmi les formes d'airs qui ont eu le plus de succès, le rondeau, qui consiste à reprendre plusieurs fois la première phrase dans le cours du morceau, tient la première place. Son invention paraît appartenir à un compositeur italien nommé Buononcini, qui vivait au commencement du XVIIIe siècle.
Plus tard Sarti, autre maître renommé, imagina le rondeau à deux mouvements, dont il donna le premier exemple dans l'air : un amante sventurato, qu'il écrivit à Rome pour le chanteur Millico, et qui eut un succès prodigieux.
Un compositeur du plus beau génie, nommé Majo, qui ne vécut point assez pour sa gloire, donna le premier exemple d'un air à un seul mouvement allegro sans reprise, dans celui dont les premiers mots sont: ah! non parla. Cette coupe d'air a eu plus de succès en France qu'en Italie, car presque tous les airs d'opéras français des anciens compositeurs ont été faits dans cette forme.

Paisiello, Cimarosa, Mozart, Paër et Mayer, ont écrit beaucoup d'airs de demi-caractère composés d'un mouvement lent suivi d'un allegro, et quelques uns de ces airs sont des chefs-d'œuvre d'expression ou passionnée ou comique. Leur coupe paraît être la plus favorable à l'effet musical.

Rossini a fait adopter une autre disposition, qui consiste à faire
  • un premier mouvement allegro modéré,
  • suivi d'un andante ou d'un adagio,
  • et à terminer le morceau par un mouvement vif et rythmé.
Cette disposition serait bonne, quant à l'effet, si elle ne donnait aux morceaux un développement trop considérable, qui souvent fait languir la situation dramatique.
La gradation des mouvements de plus en plus précipités est un moyen presque infaillible de ranimer l'attention de l'auditoire: les imitateurs de Rossini, qui n'ont pas son génie, s'en servent souvent pour cacher la nullité de leurs idées. Il en est de ces coupes d'airs comme des moyens d'instrumentation ; on peut s'en servir avec avantage, pourvu que ce ne soit pas un thème tout fait qu'on présente toujours de la même manière.

Toutes les dispositions d'airs dont il vient d'être parlé sont admissibles, si l'on sait les employer à propos ; il doit résulter de leur mélange une variété qui n'existe plus, et dont le besoin se fait sentir chaque jour davantage.

Une sorte de petit air, qu'on nomme couplet quand le caractère en est gai, et romance  lorsqu'il est mélancolique, appartient originairement à l'opéra français.
Dans sa nouveauté, l'opéra-comique, tel qu'il parut aux foires Saint-Laurent et Saint-Germain, n'était que ce qu'on nomme maintenant le vaudeville ; les couplets en faisaient tous les frais. Ce petit genre de musique, né du goût fort ancien des Français pour les chansons, est encore fort à la mode dans le public, et souvent les compositeurs qui veulent lui plaire en font usage jusqu'à l'abus. Cependant, tout en condamnant cette profusion de petits morceaux, je suis loin d'en blâmer absolument l'usage. Les couplets et les romances, qui exigent de la part du musicien de l'esprit et du goût, ont l'avantage de ne pas ralentir la marche scénique, comme le ferait un grand air, et l'on peut y mettre des mélodies aussi suaves, aussi élégantes que dans celui-ci. Toute la différence consiste dans les.proportions qui sont plus petites. Les couplets et les romances ont d'ailleurs l'avantage de varier les formes. Les compositeurs italiens ont senti qu'il était possible d'en tirer bon parti ; depuis peu d'années ils ont introduit dans leurs opéras des romances qui ont toujours été bien accueillies, même par les Italiens. A la tête de ces morceaux il faut placer la romance d' Otello
 
Après l'air, le genre de morceau qu'on trouve le plus communément dans la musique de théâtre est le duo
 Ses formes ont subi à peu près les mêmes variations que celles des airs. Le premier exemple d'un duo se trouve dans le drame d'il Santo Alessio, dont j'ai déjà parlé ; mais c'est surtout dans l'opéra bouffe italien qu'on le trouve le plus souvent employé. Les anciens opéras sérieux italiens n'en contenaient autrefois qu'un seul, qui était toujours placé dans la scène la plus intéressante. Aujourd'hui on n'écrit guère d'opéra qui ne renferme plusieurs duos, ou comiques, ou sérieux, ou de demi-caractère.
Les compositeurs italiens n'écrivent plus que des duos dont ils semblent mesurer le mérite à la taille ; ce sont toujours les mêmes patrons, c'est-à-dire les trois interminables mouvements ; et l'on se croirait déshonoré si l'on composait un duo court et gracieux comme ceux du Mariage de Figaro et de Don Juan, Su l'aria ; Crudel, perche fin ora ; ou La ci darem la mano. Il faudra pourtant en revenir à user quelquefois de ces proportions, qui, quoi qu'on en dise, sont plus dramatiques que la plupart des longs morceaux qui leur ont succédé.

Les trios d'opéras sont nés en Italie, comme tous les morceaux d'ensemble.
C'est dans l'opéra bouffe que Logroscino, compositeur vénitien, en fit le premier essai vers 1750. Il fut surpassé dans ses effets par Galuppi, son compatriote ; mais ce fut surtout Piccini qui, dans sa Buona Figliola, porta ce qu'on appelle en général morceaux d'ensemble à un point de perfection très remarquable.
 Les finale, qui n'en sont que des modifications très développées, devinrent aussi nécessaires pour les terminaisons d'actes.
On sait tout l'intérêt que Paisiello, Cimarosa et Guglielmi surent répandre sur cette partie de la musique. Le fameux septuor du Roi Théodore fut un pas immense fait dans l'art de jeter de l'intérêt sur les scènes lyriques à personnages nombreux ;
Mozart compléta ensuite cette grande révolution musicale par ses merveilleux trios, quatuors, sextuors et finales de la Flûte enchantée, de Don Juan et du Mariage de Figaro.
Rossini n'a point inventé dans la forme des morceaux d'ensemble ; mais il a perfectionné des détails de rythme, d'effets de voix et d'instrumentation.

Les anciens compositeurs français ne comprenaient pas l'utilité des grandes réunions de voix qui n'auraient peut être pas été à la portée de leur auditoire. D'ailleurs les sujets d'opéras-comiques étaient trop légers, et le nombre des personnages trop peu considérable pour qu'on pût rien écrire de semblable.
  • Cependant Philidor saisit l'occasion qui lui fut offerte dans Tom Jones pour faire un bon quatuor ;  
  • Monsigny, dont le savoir en musique était fort médiocre, mais qui possédait une imagination très vive et beaucoup de sensibilité, fit aussi dans Félix ou l'Enfant trouvé un trio, sinon fort bon, du moins fort expressif.
Quant à l'opéra sérieux français, Gluck, qui en avait fixé la forme, ne fit entrer dans sa composition que le récitatif porté à sa plus grande perfection, les chœurs, les airs, rarement les duos, et presque jamais les trios, quatuors ou morceaux d'ensemble.
Les formes un peu compliquées de ce genre de musique ne commencèrent à se naturaliser en France que par les travaux de Méhul et de Cherubini. Concevant les développements de la scène lyrique sur un plan plus vaste que leurs devanciers, ces deux grands musiciens appliquèrent à la scène française les améliorations de l'opéra italien, en les modifiant par les qualités particulières de leur génie. Leurs productions eurent un degré d'énergie de plus que celles de Paisiello et de Cimarosa ; ils exagérèrent même la richesse d'harmonie dont l'école allemande avait donné le modèle ; ils firent des découvertes dans l'instrumentation, découvertes dont Rossini a profité depuis lors ; ils furent enfin plus observateurs de l'exactitude dramatique ; mais ils chantèrent moins heureusement, et firent quelquefois consister un peu plus le mérite de la musique dans l'arrangement que dans l'inspiration. Quoi qu'il en soit de l'opinion qu'on peut se faire du genre qu'ils avaient adopté, on ne peut nier qu'ils aient rendu de grands services à leur art ; ce sont eux qui ont fait enfin pénétrer dans la musique des proportions musicales plus grandes que celles dont les Français avaient l'habitude, et qui ont écrit de vrais morceaux d'ensemble, de vrais finales dignes de fixer l'attention des musiciens instruits et des gens de goût. Leur exemple a tracé la route à d'autres compositeurs habiles qui leur ont succédé: Boieldieu, Catel, Auber, Hérold, Halévy et d'autres, se font gloire d'avoir reçu leurs conseils et suivi leur exemple: Boieldieu s'est particulièrement distingué par la grâce, l'élégance et l'esprit qu'il a su allier avec les formes musicales développées.

Une des qualités par lesquelles l'école française s'est distinguée le plus est celle d'avoir produit des chœurs excellents.
Rameau fut le premier qui fit briller les opéras français par la beauté de ce genre de morceau. Si son mérite est inférieur à celui de Haendel sous le rapport de la richesse des formes savantes et de la modulation, on ne peut nier du moins qu'il n'ait su donner aux chœurs de ses opéras une grande force dramatique. D'ailleurs, les formes savantes des chœurs d'oratorios et les fugues dont ils sont remplis ne conviennent point à la scène ; car il ne faut point détourner l'attention de l'objet principal, qui est l'intérêt dramatique. Depuis Rameau, une immense quantité de chœurs français ont été écrits par Gluck, Méhul, Cherubini, et toute leur école.
Cette partie de l'opéra était autrefois la plus faible en Italie, parce que les spectateurs italiens n'y attachaient aucune importance. Paër et Mayer ont été les premiers à rendre aux chœurs l'éclat qu'ils doivent avoir dans la musique dramatique ; Rossini est venu après eux enrichir cette partie du drame de formes mélodiques qu'on ne lui avait pas données auparavant ; il en résulta des effets nouveaux auxquels on n'était pas accoutumé, et qui ont eu de brillants succès. Les chœurs de Weber sont distribués d'une manière pittoresque et dramatique.

L'ouverture des opéras, que les Italiens nomment sinfonia, est considérée par quelques personnes comme une partie importante de la musique d'un drame ; d'autres en font peu de cas.
La première ouverture qui ait joui de quelque réputation en Italie est celle de la Frascatana de Paisiello. L'ouverture d'Iphigénie en Aulide, de Gluck, fit un effet prodigieux lorsqu'on l'entendit pour la première fois, en 1773, et depuis lors elle n'a cessé d'exciter l'admiration par le mélange de majesté, de désordre et de pathétique dont elle est empreinte. L'ouverture de Démophon, de Vogel, est aussi fort belle dans son début et dans toute sa première partie, mais la fin est indigne du commencement. Deux autres ouvertures ont eu aussi beaucoup de réputation en France ; ce sont celles de la Caravane et de Panurge, composées toutes deux par Grétry. Elles contiennent des phrases d'un chant heureux, mais elles ne méritent point leur réputation, car elles sont mal faites. Dénuées de plan, de facture et d'harmonie, ces ouvertures n'ont pu obtenir leur succès que lorsque le goût du public français était encore à former. Cherubini a fait plusieurs ouvertures dont le mérite est très remarquable ; elles sont devenues classiques dans presque tous les concerts de l'Europe ; on les joue avec un égal succès en Angleterre, en Allemagne et en France. Les plus belles sont celles de l' Hôtellerie portugaise et d'Anacréon ; leur plan, leur facture et leur instrumentation sont également admirables.
Parmi les morceaux de ce genre, il en est un qui est considéré comme ce qui existe de plus beau, sous quelque aspect qu'on veuille l'examiner ; c'est l'ouverture de la Flûte enchantée, de Mozart, chef-d'œuvre inimitable qui sera éternellement le modèle des ouvertures et le désespoir des compositeurs. Tout se trouve réuni dans ce bel ouvrage ; début large et magnifique, nouveauté des motifs, variété dans la manière de les reproduire, science profonde dans le plan et dans les détails, instrumentation piquante, intérêt croissant et péroraison pleine de chaleur.
On peut encore citer comme des modèles d'intérêt dramatique les ouvertures d'Egmont et de Léonore, de Beethoven.  
Rossini, dans ses ouvertures de Tancrède, d'Otello, du Barbier de Séville, et de Semiramide, a multiplié les mélodies les plus heureuses et les effets d'instrumentation les plus séduisants ; mais il y a fait voir que le génie le plus heureusement organisé ne suffit pas toujours pour tirer parti des idées les plus favorables. En effet, tout morceau de musique instrumentale se divise ordinairement en deux parties. La première contient l'exposé des idées de l'auteur et module dans un ton relatif au ton principal ; la seconde partie est consacrée au développement de ces idées, au retour dans le ton primitif, et à la répétition de certains traits de la première. Le développement des idées dans la seconde partie est ce qu'il y a de plus difficile dans l'art de traiter une ouverture ; il exige des études préliminaires dans la science du contrepoint, et du soin dans les combinaisons. Rossini a coupé le nœud gordien ; il n'a point fait de seconde partie, et s'est borné à quelques accords pour rentrer dans le ton primitif, et à répéter à peu près exactement toute la première partie dans un autre ton. Dans l'ouverture de Guillaume Tell, il s'est livré à de plus grands développements et a produit un ouvrage plus digne de sa brillante réputation.
Weber, clans les ouvertures de Freyschütz, d'Eurianthe et d'Oberon, a fait preuve du plus beau talent par le coloris dramatique et la progression d'intérêt qu'il a su y mettre.

On a répété souvent qu'une ouverture doit être un résumé de la pièce, et qu'elle doit rappeler quelques traits des situations principales qui s'y trouvent. Plusieurs musiciens ont adopté cette idée, et n'ont fait qu'une espèce de pot-pourri de l'ouverture de leur opéra ; cette idée me paraît bizarre. Qu'un résumé de l'opéra soit nécessaire, à la bonne heure ; mais ce résumé devrait se trouver à la fin de la pièce, où le spectateur peut sentir le mérite du retour de certaines phrases qui lui rappellent des situations de l'ouvrage. Si, au contraire, ces phrases sont entendues par lui avant qu'il ait pris connaissance des situations, elles ne lui rappellent rien et n'attirent pas plus son attention que d'autres phrases ne pourraient le faire. Au reste. il est bon de se rappeler qu'aucune ouverture justement célèbre n'est-faite dans ce système. Les ouvertures d' Iphigénie, de Démophon, de Don Juan, de la Flûte enchantée, d'Egmont, de Léonore, de l'Hôtellerie portugaise, d'Anacréon et de Guillaume Tell, ne sont que des symphonies dramatiques, et non des pots-pourris.
Quoique l'ouverture appartienne à la musique instrumentale, j'ai cru devoir en parler à propos du drame musical. Je reviens à ce qui concerne la forme des pièces vocales.


Dans le cours des XVIe et XVIIe siècles, il y eut de véritable musique de concert privé, laquelle consistait en une sorte de pièces vocales à quatre, cinq ou six parties, et qu'on nommait madrigaux et chansons ; l'usage de ce genre de musique a diminué dès que l'opéra fut devenu assez intéressant pour attirer l'attention des amateurs ; insensiblement les airs d'opéras ont pris la place de ce qu'on nommait la musique de chambre, et celle-ci a fini par disparaître presque entièrement. On n'en a conservé que
  • les canzonette, en Italie,
  • les Lieder, en Allemagne,
  • et les romances pour une ou deux voix, en France.
Ces différentes pièces participent du goût national empreint dans les autres parties de la musique de chacun de ces peuples ;
  • ainsi le goût des Italiens pour le chant élégant et embelli de fioritures se remarque dans les canzonette ;
  • les Lieder ou chansons allemandes se distinguent par une franchise de ton remarquable uni à un sentiment d'harmonie recherché ;
  • les romances françaises brillent surtout par une expression ou dramatique ou spirituelle des paroles. On donne souvent le nom de nocturnes aux romances à deux voix.
Ces petites compositions ont quelquefois une vogue prodigieuse dans la nouveauté, et leurs auteurs jouissent d'ordinaire pendant dix ou douze ans de réputations de salon fort brillantes, qu'ils perdent par suite de l'engouement qui se manifeste pour quelque nouveau venu.

Un musicien devenu célèbre dans un genre plus élevé, Boieldieu, a fait des romances charmantes qui ont été fort recherchées ; après lui est venu Garat, puis Blangini, puis madame Gail, à qui M. Romagnési a succédé ; M. Amédée de Beauplan a joui d'un instant de vogue, que MM. Labarre, Panseron et Masini lui ont fait perdre.

(1) Maîtres napolitains qui écrivaient vers le milieu du XVIIIe siècle.

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